L’Islam et la démocratie
Le président français, Emmanuel Macron a prononcé, le vendredi 2 octobre 2020, un discours contre les “séparatismes” avec, une fois de plus, l’Islam en ligne de mire. L’Islam est-elle vraiment incompatible avec la République? L’occasion pour nous de redonner la définition de la démocratie selon l’Islam, tirée du livre “Problèmes des temps modernes: les solutions de l’Islam” écrit par le quatrième Calife de la Communauté musulmane Ahmadiyya, Hadhrat Mirza Tahir Ahmad (ra).
Définir la démocratie
Le concept de démocratie, malgré son origine grecque, est basé sur la définition donnée par Abraham Lincoln à l’occasion de la victoire de Gettysburg : Un gouvernement du peuple, par le peuple, et pour le peuple. Il s’agit d’un principe très intéressant, mais rarement appliqué dans sa totalité, quel que soit le pays que l’on considère.
La troisième partie de cette définition, pour le peuple, est très vague et peut donner lieu à de dangereux malentendus. Quand peut-on affirmer sans risque de se tromper que le gouvernement agit pour le peuple ? Dans un système démocratique majoritaire, on peut dire que ce que l’on considère être pour le peuple l’est en fait pour la majorité.
En principe, dans un tel système, les décisions vitales doivent être prises généralement sur la base de la majorité absolue. Pourtant, si on analyse en détail cette situation, on s’aperçoit que dans certains cas, de telles décisions sont celles de la minorité, votées démocratiquement et imposées à la majorité. Cela peut être le cas pour un parti remportant une large majorité à l’assemblée nationale en n’ayant pourtant obtenu qu’une majorité très courte dans la plupart des circonscriptions ; ou encore pour les élections à trois candidats ou plus, et dans lesquelles le premier est élu quel que soit le pourcentage de voix obtenu.
De même, si le taux d’abstention est très élevé le jour des élections, on peut se demander si le candidat ou le parti élu est véritablement représentatif de la majorité. En outre, même si un parti est élu par une majorité de voix, beaucoup de choses peuvent se passer ensuite. L’opinion publique peut changer radicalement, au point que le gouvernement en place ne soit plus du tout représentatif de la majorité. D’ailleurs, l’électorat change progressivement d’opinion, et cela se manifeste toujours au moment du choix d’un nouveau gouvernement.
Quand bien même un gouvernement conserverait le soutien de ses électeurs, il peut prendre des décisions fondamentales malgré la désapprobation de nombreux membres de son parti. Ceux-ci, en effet, par loyauté envers le gouvernement, ne voteront pas contre lui. Si le pouvoir de décision réside dans les rapports de force entre le parti au pouvoir et l’opposition, il est probable que dans de nombreuses situations, les décisions soi-disant majoritaires seront en réalité des décisions minoritaires imposées au peuple.
Il est important de signaler aussi que ce qui est considéré comme étant bon pour le peuple change avec le temps. Si les décisions étaient prises non pas sur la base de principes absolus, mais sur ce que l’on considère comme étant bon pour le peuple, ou encore sur ce qu’un parti considère comme bon, il est certain que cela amènerait des changements de politique réguliers et fréquents. Comme une girouette qui suit la direction du coup de vent, ce qui semble bon aujourd’hui peut être mauvais demain.
Pour l’homme de la rue, cela peut créer une situation très difficile. Après tout, l’expérimentation à grande échelle du communisme pendant plus d’un demi-siècle était basée sur ce même slogan : pour le peuple. N’oublions pas que les États communistes n’étaient pas tous basés sur la dictature.
En ce qui concerne le principe du gouvernement par le peuple, il faut faire remarquer que la ligne séparant les États démocratiques des États communistes est très étroite et parfois même inexistante. Comment peut-on condamner tous les gouvernements élus dans les pays socialistes en déclarant que ce n’est pas par le peuple qu’ils ont obtenu le pouvoir ? Bien sûr, dans un État totalitaire, il est possible de dicter le choix des candidats au peuple, en ne laissant qu’une alternative très limitée. Mais des méthodes similaires peuvent également être employées dans beaucoup de pays ayant un système soi-disant démocratique. En fait, les seules véritables exceptions se trouvent dans certains pays occidentaux.
Dans la plupart des pays, la démocratie n’est jamais complètement libre et les élections sont rarement celles du peuple. Avec les manipulations, la corruption, les menaces et autres techniques déloyales, l’esprit et la substance de la démocratie sont diminués au point qu’il n’en reste parfois plus grand chose.
Définition de la démocratie selon l’Islam
Selon le Saint Coran, les gens ont la liberté de choisir le système qui leur convient. La démocratie, la monarchie, les systèmes tribaux ou féodaux sont tous reconnus, dans la mesure où ils sont acceptés par le peuple comme l’héritage traditionnel de leur société. Toutefois, il semble que la démocratie soit préférable et recommandée par le Saint Coran. On y conseille aux musulmans d’adopter un système démocratique, quoiqu’il s’agisse d’un modèle un peu différent de celui des démocraties occidentales. Dans le Saint Coran, l’Islam ne propose présente pas de définition vide de sens de la démocratie. Seuls les principes fondamentaux sont mentionnés, les détails étant laissés aux hommes. C’est à eux de les suivre pour en tirer les bénéfices ou de les refuser et d’en payer les conséquences.
Les deux piliers du concept islamique de démocratie
Le concept de démocratie présenté par l’Islam repose sur deux principes fondamentaux :
- Le processus d’élection doit être basé sur l’intégrité et l’honnêteté la plus totale. L’Islam enseigne que lorsqu’on remplit son devoir électoral, on doit le faire en ayant à l’esprit le fait que Dieu nous surveille et que nous devrons répondre devant Lui de nos décisions. On doit voter pour ceux qui sont les plus capables de faire face à leurs responsabilités nationales, et ils doivent être dignes de confiance. Une règle implicite dit en outre que le devoir de voter est obligatoire, à moins, bien sûr, que des circonstances particulières et extraordinaires ne le permettent pas.
- Les gouvernements doivent fonctionner sur le principe de la justice absolue.
Le second principe fondamental veut que, lorsqu’on prend une décision, on le fasse en se basant sur un principe de justice absolue. Que ce soit pour une question sociale, politique, économique ou religieuse, le principe de justice ne doit jamais être compromis. Après la formation du gouvernement, le vote à l’intérieur du parti doit toujours se faire en gardant la justice pour objectif premier. Aucun intérêt personnel, aucune considération politique ou autre ne doivent influencer le processus de décision. Ainsi donc, toutes les décisions prises dans cet esprit sont obligatoirement et véritablement celles du peuple, par le peuple et pour le peuple.
Pour un système de consultation mutuelle
La substance de la démocratie est clairement exposée dans le Saint Coran, et des conseils sont donnés aux musulmans sur ce sujet. Même si la monarchie n’est ni rejetée, ni présentée comme une institution néfaste et irréligieuse, il est clair que la démocratie est préférable aux autres formes de gouvernement.
La société islamique idéale est ainsi décrite dans le Saint Coran :
« Et tout ce qui vous a été donné n’est qu’une provision temporaire de cette vie, et ce qui est avec Allah est meilleur et plus durable, pour ceux qui croient et placent leur confiance en leur Seigneur ; et qui évitent les péchés les plus graves et les indécences ; et qui, lorsqu’ils sont courroucés, pardonnent ; et ceux qui écoutent leur Seigneur, et observent la Prière, et dont les affaires sont décidées à travers des consultations mutuelles, et qui dépensent de ce dont Nous les avons pourvu ; et ceux qui, lorsqu’une injustice leur est faite, se défendent. »
Le Saint Coran | Chapitre 42, Versets 37-40
L’expression arabe « Amrouhoum Chourâ Beïnahoum » (ceux dont les affaires sont décidées à travers des consultations mutuelles) est liée à la vie politique de la société musulmane. Elle indique clairement que les questions qui concernent les décisions du gouvernement doivent être prises après consultation. Cela nous rappelle l’une des parties de la définition de la démocratie, à savoir le gouvernement du peuple. La volonté commune du peuple devient le moteur des décisions gouvernementales par le mécanisme de la consultation.
La seconde partie de la définition de la démocratie, gouvernement par le peuple, est présentée dans le verset suivant :
« En vérité, Allah vous commande de céder les charges à qui de droit. »
Le Saint Coran | Chapitre 4, Verset 59
Cela signifie que lorsqu’on exerce sa volonté dans le choix des dirigeants, il faut placer sa confiance en ceux qui la méritent. Le droit qu’ont les peuples de choisir leurs dirigeants est incidemment mentionné. Mais l’importance est donnée à la façon dont on doit exercer ce droit. Les musulmans doivent comprendre que ce n’est pas uniquement une question de choix personnel qu’ils pourraient exercer comme bon leur semble. Bien au-delà, il s’agit en fait d’une question de responsabilité nationale. Lorsque la confiance est en jeu, le choix devient très limité. On doit assumer ses responsabilités avec honnêteté, intégrité et altruisme. Les responsabilités doivent revenir à ceux à qui elles incombent réellement.
De nombreux musulmans citent ce verset en pensant qu’il indique simplement que le Saint Coran n’est en faveur ni d’un système de partis politiques tel qu’il existe dans les sociétés occidentales, ni du style ou de l’esprit des débats qui sont courants dans leurs assemblées et parlements élus. Comme nous avons déjà abordé cette question, il n’est pas nécessaire de s’y attarder à nouveau.
À propos de la seconde partie de la définition de la démocratie, il faut aussi remarquer que, selon le principe de consultation mutuelle, le droit de vote appartient aux électeurs et que ce droit n’admet aucune condition ou limitation. Selon les règles établies de la démocratie, s’il le souhaite, l’électeur peut voter pour une marionnette, ou encore jeter son bulletin de vote dans une corbeille à papiers plutôt que dans une urne. Quoi qu’il fasse, il restera irréprochable, et ne pourra pas être accusé de violer l’un des principes de la démocratie. Selon la définition coranique, l’électeur n’est pas le maître absolu de son vote, mais il en est le dépositaire. En tant que tel, il se doit de remplir son devoir honnêtement et consciencieusement en votant pour celui à qui les responsabilités reviennent. Il doit être vigilant et conscient que Dieu l’observe et qu’il devra répondre de ses actions.
Ainsi, selon le concept islamique, si le membre d’un parti politique considère qu’un candidat, nommé par son parti, n’est pas en mesure de remplir ses responsabilités, il devrait quitter ce parti plutôt que de voter pour quelqu’un qui ne mérite pas de telles responsabilités. La loyauté envers un parti ne doit pas interférer dans la décision.
De même, il faut accomplir son devoir électoral en étant de bonne foi. Chaque électeur doit donc voter, à moins de circonstances vraiment exceptionnelles. Autrement, il n’aura pas accompli son devoir. S’abstenir ou ne pas voter du tout, comme cela se passe aux Etats Unis où près de la moitié de l’électorat ne se déplace même pas pour voter, est complètement rejeté dans la conception islamique de la démocratie.
Confusion à propos de la véritable nature du gouvernement islamique
De nos jours, nombreux sont les intellectuels musulmans qui pensent qu’Islam est synonyme de démocratie. D’après leur philosophie politique, Dieu étant l’autorité suprême, la souveraineté Lui appartient.
Autorité Divine
Le principe fondamental selon lequel le droit de gouverner et la souveraineté absolue appartiennent à Dieu et à Lui seul est mentionné de différentes façons dans le Saint Coran. Le verset suivant résume cette idée :
« Qu’Allah soit donc exalté, le Souverain légitime ! Il n’y a de Dieu que Lui, le Seigneur du Trône Glorieux ! »
Le Saint Coran | Chapitre 23, Verset 117
En ce qui concerne la conduite des affaires politiques, la Souveraineté Divine s’exprime de deux façons :
- La Loi (Charia) est dérivée du Saint Coran, de la conduite du Saint Prophète de l’Islam (saw) et des Traditions qui lui sont attribuées par les premiers musulmans. Elle est suprême, et fournit les principes essentiels pour légiférer ; aucun gouvernement élu ne peut interférer avec la volonté claire de Dieu.
- Aucun processus législatif ne peut être valide s’il est en contradiction avec le principe énoncé précédemment.
Tous les savants des différentes sectes de l’Islam s’accordent quant au fait que le pouvoir de légiférer est une prérogative de Dieu, et qu’Il a exprimé sa volonté à travers la révélation du Saint Coran au Prophète de l’Islam (saw). Malheureusement, ils ne sont pas unanimes lorsqu’il s’agit de déterminer quelles sont ces Lois (Charia).
Pour ce qui est de la manière dont le gouvernement musulman devrait être dirigé, l’idée la plus répandue veut que dans l’administration quotidienne des affaires, le gouvernement, représentant le peuple, devienne l’instrument de l’expression de la volonté de Dieu. Un tel système est démocratique, puisque la souveraineté appartient au peuple à travers un mécanisme de délégation de pouvoir.
Le « Mollahisme »
On appelle Mollahisme la position très rigide qu’ont adopté les soi- disant musulmans orthodoxes. Ils sont prêts à accepter les préférences de la population musulmane pour la démocratie moderne à la seule condition que les mollahs (érudits musulmans) gardent le monopole du droit final à juger de la validité des décisions démocratiques sur la base de la Charia.
Se plier à ce principe, revient à placer le pouvoir législatif suprême entre les mains du clergé orthodoxe ou fondamentaliste, mais certainement pas entre celles de Dieu. Si l’on considère l’ampleur du pouvoir qui serait à leur disposition, on peut craindre des conséquences graves, surtout lorsqu’on connaît les différences fondamentales qui existent, chez les musulmans, dans la définition de la Charia. Parmi les orthodoxes, on trouve de nombreuses écoles de jurisprudence. Et à l’intérieur même de chacune de ces écoles de pensée, les édits ne font pas toujours l’unanimité. En outre, leur concept de la Volonté de Dieu exprimée à travers la Charia islamique a changé au cours des siècles.
Cela pose un problème complexe au monde musulman contemporain qui semble être à la recherche de son identité véritable. Il apparaît de plus en plus clairement aux intellectuels musulmans que le seul point qui fasse l’unanimité parmi les mollahs, porte sur leur exigence à imposer la Charia. La révolution iranienne a donné faim aux mollahs des pays à majorité sunnite. Si Khomeini a réussi, pourquoi pas eux ? C’est leur fantasme et leur rêve le plus cher.
Quant aux masses, elles sont perplexes. D’un côté on leur propose La parole de Dieu et celle de Son Prophètesaw, de l’autre, des déclarations politiques faites par des hommes appartenant à une société qui n’a plus ni foi ni loi. Cette question est extrêmement difficile à résoudre pour un homme ordinaire, qui se retrouve généralement dans un état de confusion totale.
Dans de nombreux pays, les musulmans aiment leur religion au point d’être prêts à sacrifier leur vie pour faire triompher la Volonté de Dieu ou l’honneur du Saint Prophète de l’Islam (saw). Il y a pourtant dans toute cette histoire quelque chose qui n’est pas très clair, qui les dérange et les laisse perplexes. Malgré leur amour pour Dieu et Son Prophète (saw), ils ont à l’esprit les événements sanglants du passé et connaissent la façon dont la religion est récupérée par les mollahs qui cherchent à assouvir leurs ambitions politiques.
Quant aux hommes politiques musulmans, ils paraissent divisés et indécis. Certains ne peuvent résister à la tentation de se joindre aux mollahs, tout en les traitant avec condescendance. Toutefois, ils nourrissent l’espoir qu’au moment des élections, c’est eux qui seront élus comme les vaillants défenseurs de l’Islam et de la Charia, et non pas les mollahs. Ils pensent que les masses leur feront davantage confiance pour devenir les gardiens de la Charia, aspirant à une vie plus facile et plus terre à terre, loin du contrôle rigide et intransigeant des mollahs et autres «Gardiens du Paradis.» Les politiciens les plus scrupuleux voient plus loin que le bout de leur nez et savent qu’il s’agit d’un jeu très dangereux. Malheureusement, ils deviennent de plus en plus rares. La politique et l’hypocrisie d’une part, la vérité et toutes les nobles vertus de l’autre, portent à croire que toute tentative de réconciliation est impossible. Dans leur ensemble, les intellectuels sont de plus en plus enclins à la démocratie. Ils aiment l’Islam mais ont peur de la dictature théocratique. Ils ne considèrent pas la démocratie comme une alternative à l’Islam, mais comme une philosophie politique proposé dans le Saint Coran :
« Et ceux qui écoutent leur Seigneur, et observent la Prière, et dont les affaires sont décidées à travers des consultations mutuelles et qui dépensent de ce dont Nous les avons pourvus. »
Le Saint Coran | Chapitre 42, Verset 39
« …et consulte-les dans des affaires importantes et puis une fois que tu t’es décidé, alors fais confiance à Allah. Assurément, Allah aime ceux qui Lui font confiance. »
Le Saint Coran | Chapitre 3, Verset 160
C’est cette lutte acharnée entre les différentes factions qui plonge de jeunes pays musulmans comme le Pakistan dans des situations particulièrement confuses et contradictoires. Là-bas, les électeurs ont de l’aversion à voir les mollahs entrer en grand nombre dans les assemblées. Même à l’époque la plus chaude du débat sur la Charia, cinq à dix pour-cent seulement des mollahs réussirent à gagner les élections. Pourtant, s’étant engagés à accepter la « Loi de Dieu » en échange du soutien des mollahs, les hommes politiques se retrouvent dans une position très peu enviable. Au fond d’eux-mêmes, ils savent pertinemment que l’acceptation de la Charia est en contradiction avec le principe des assemblées législatives élues démocratiquement.
Si l’autorité en matière de législation appartient à Dieu, ce qu’aucun musulman ne peut nier, il s’ensuit logiquement que la prérogative de la connaissance et de la définition de la Charia revient aux mollahs et aux religieux. Dans ces circonstances, les élections d’assemblées législatives seraient inutiles, puisque les membres élus n’auraient qu’à signer les documents préparés par les mollahs. Il est tragique de constater que ni les hommes politiques, ni les intellectuels n’ont cherché à comprendre quelles formes de gouvernement sont réellement proposées ou reconnues par le Saint Coran.
Partage des lois entre l’État et la religion
Il n’y a pas contradiction entre la parole et les actions de Dieu. Il n’y a pas non plus de conflit d’intérêt entre l’État et la religion dans l’Islam. En outre, cette question ne se limite pas à l’Islam.
Au cours de l’histoire, nombreux sont les exemples où des États bien établis se trouvèrent confrontés à de telles situations.
Pendant les trois premiers siècles de la période chrétienne, les chrétiens furent accusés de trahir l’Empire Romain en favorisant le Christianisme. L’État utilisa cette accusation de trahison envers l’Empereur pour persécuter de manière particulièrement barbare et inhumaine les premiers chrétiens.
Cette lutte entre l’Église et l’État aura été un facteur important dans la construction de l’Europe moderne. Napoléon Bonaparte, par exemple, accusa l’Église catholique de conflit d’intérêt. Il affirma que la loyauté de l’Église devait être pour le peuple de France et pour son gouvernement et qu’aucun pape du Vatican n’avait la permission de diriger les catholiques français. À aucun prix on ne laisserait le Catholicisme s’interposer dans les affaires de la France.
Plus récemment, les membres de la Communauté musulmane Ahmadiyya du Pakistan se sont retrouvés face à des problèmes similaires. Sous la protection du Général Zia-ul-Haq, le dictateur qui dirigea le pays pendant le plus longtemps, le clergé musulman à l’idéologie médiévale eut l’opportunité d’augmenter son emprise et son influence sur la société. Dans cette situation, les Ahmadis furent aussi victimes de cette accusation de trahison. Le gouvernement du Général Zia alla jusqu’à préparer une sorte de Livre Blanc déclarant que les Ahmadis n’étaient loyaux ni envers l’Islam, ni envers le gouvernement du Pakistan. C’est la même folie qui s’empare d’hommes différents. Le vin est le même, seuls les verres changent.
Plus récemment encore, suite à la célèbre affaire Salman Rushdie, les musulmans britanniques et ceux qui vivent en Europe furent eux aussi accusés de conflit d’intérêt. Bien que la situation n’ait pas atteint des proportions identiques, les dégâts causés aux relations intercommunautaires ne doivent pas être sous-estimés.
La religion doit-elle avoir une autorité législative exclusive ?
Quoiqu’universel, ce phénomène n’a jamais été étudié ni examiné correctement. Ni les hommes politiques, ni les religieux n’ont pu résoudre la question de la ligne très étroite qui sépare la religion de l’État. En ce qui concerne les chrétiens, le problème aurait dû être résolu une fois pour toutes, lorsque Jésusas fit cette réponse historique aux pharisiens :
…Alors il leur dit : « Rendez donc les choses de César à César, mais les choses de Dieu à Dieu. »
(Matthieu 22 :21)
Ces paroles possèdent une très grande sagesse, et se suffisent à elles- mêmes. La religion et l’appareil d’État sont en fait deux des nombreuses roues de la société. En réalité, peu importe qu’il en ait deux, quatre ou huit. Ce qui compte, c’est qu’elles soient toutes orientées dans la même direction et qu’elles tournent librement autour de leurs axes. Il ne devrait pas y avoir de conflit ou de confrontation.
En accord avec les Écritures Saintes anciennes, le Saint Coran présente cette question en séparant très clairement les domaines d’activités de chacune des composantes de la société. Ce serait beaucoup trop simple de croire qu’État et religion n’ont aucun point commun et ne partagent aucun domaine. De tels chevauchements existent, et dans cette situation, l’attitude à adopter doit répondre à un esprit de coopération mutuelle. Il ne doit pas y avoir intention de monopolisation.
Dans tous les pays, une grande partie de l’enseignement moral de toute religion est devenue partie intégrante du code de lois. Dans certains pays, cela ne constitue qu’une part très faible de ces lois ; dans d’autres en revanche, cela peut prendre une place primordiale. Que les punitions prescrites soient rigoureuses ou laxistes, on peut trouver la trace de la désapprobation religieuse dans de nombreux crimes punissables par la loi, sans pour autant qu’il soit fait référence à la religion. Bien qu’ils puissent être en désaccord avec de nombreuses lois laïques, les membres des différentes religions cherchent rarement à confronter les gouvernements sur de telles questions.
Loin de ne s’appliquer qu’aux chrétiens et aux musulmans, cela concerne en fait toutes les religions de la planète. Les lois fondamentales hindoues du Manusmarti sont complètement différentes des lois laïques du gouvernement de l’Inde. Pourtant, les gens arrivent tant bien que mal à vivre dans une certaine forme de compromis.
Si toutes les lois religieuses devaient être rigoureusement appliquées au détriment des systèmes politiques et législatifs en vigueur, le monde se transformerait très certainement en bain de sang. Heureusement pour les hommes, ce n’est pas le cas.
En ce qui concerne l’Islam, ce problème ne devrait pas se poser puisque le principe ultime et fondamental enseigné dans ce domaine est celui de la justice absolue. Ce principe demeure central et essentiel pour toute forme de gouvernement qui revendique être musulman dans son esprit.
Malheureusement, ce point fondamental du concept islamique de gouvernement est très mal, voire pas du tout compris par les intellectuels musulmans. Ils ne parviennent pas à faire la distinction entre les crimes de nature universelle et sans aucune relation avec la religion, lesquels appellent une application ordinaire de la loi, et ceux particuliers et spécifiques à cette religion, pour lesquels seuls les adeptes de cette religion peuvent être poursuivis.
Ces deux catégories ne sont pas clairement définies. Une zone d’incertitude assez grande entoure les crimes ordinaires qui sont considérés comme violations des normes humaines acceptées, et peuvent aussi avoir des implications religieuses ou morales. Par exemple, au vol correspondent différents niveaux de condamnation et de punition. Il en va de même des meurtres, de l’alcoolisme, du désordre public, qui sont partiellement ou totalement interdits par de nombreuses religions. Certaines religions recommandent même des punitions spécifiques pour ces délits.
L’important est de savoir comment l’État doit s’occuper de tels crimes. Et cette question en soulève une autre: L’Islam propose-t-il des solutions particulières selon qu’il s’agisse d’un État musulman ou pas ? Si un gouvernement a été défini en tant que tel dans l’Islam, quelle légitimité devrait-on accorder à un État qui, se considérant sous l’influence de certains enseignements religieux, les imposerait à tous les citoyens, qu’ils appartiennent à cette religion ou pas ?
Si les religions ont le devoir d’attirer l’attention du pouvoir législatif sur les questions morales, il n’est pas pour autant nécessaire que tous les pouvoirs législatifs soient placés sous la juridiction des religions. Il y a tant de variantes entre les croyances des diverses sectes et religions, qu’il ne pourrait en résulter que l’anarchie et la confusion la plus complète. Considérons le problème de l’alcool. Bien que cela soit interdit dans le Saint Coran, aucune punition n’est spécifiquement mentionnée. Il existe bien sûr des Traditions sur ce sujet, mais elles sont mises en doute par certaines écoles de jurisprudence. On prendrait alors le risque de décider de punitions complètement différentes selon les lieux ou les pays et l’ignorance de la loi se répandrait. En outre, ce qui est vrai pour l’Islam l’étant aussi pour les autres religions, chercher à appliquer la loi de la Talmud ou du Christianisme ne serait absolument pas réaliste.
L’adepte d’une religion quelconque peut pratiquer celle-ci, même sous un régime laïque. Il peut dire la vérité sans pour cela avoir besoin d’une loi gouvernementale. Il peut faire ses prières et remplir ses obligations religieuses sans qu’une loi gouvernementale ne soit nécessaire. Prenons maintenant cette question sous un autre angle. Supposons que le Saint Coran admette le principe d’un gouvernement islamique lorsque la majorité de la population est musulmane ; selon le même principe de justice absolue, l’Islam devra alors reconnaître à d’autres gouvernements le droit de gouverner en fonction des enseignements de la religion majoritaire dans la population. Ainsi donc, le Pakistan devrait concéder à l’Inde le droit d’appliquer la loi hindoue. Ce serait alors un jour tragique pour les 100 millions de musulmans qui perdraient leur droit de vivre honorablement en Inde. Si l’Inde devait être dirigée par la loi de Manusmarti, pourquoi devrait-on refuser à l’État d’Israël de gouverner les juifs et les Gentils selon le Talmud ? Dans de telles conditions, la vie deviendrait extrêmement difficile, non seulement pour les habitants non juifs d’Israël mais aussi pour un grand nombre de juifs. Le concept d’États religieux dans les différents pays ne serait donc apparemment acceptable dans l’Islam qu’à une condition : Il faudrait accepter que, dans les pays à majorité musulmane, la loi islamique (Charia) soit imposée, si nécessaire par la force. Il est clair qu’une telle situation serait complètement paradoxale. D’une part, au nom de la justice absolue, tous les États auraient le droit d’imposer la loi de la religion de la majorité. D’autre part, tous les actes de la minorité seraient contrôlés par la loi d’une religion dans laquelle elle ne croit pas. Cela constituerait un affront au concept même de justice absolue. Les avocats de la loi islamique dans les soi-disant États musulmans n’ont jamais essayé de résoudre ce dilemme, ou même de l’aborder. Selon notre interprétation des enseignements de l’Islam, les États devraient gouverner en se basant sur le principe de justice absolue ; en tant que tels, ils deviendraient des États musulmans. Si l’on considère ces arguments et que l’on respecte le concept fondamental selon lequel il n’y a pas d’obligation en ce qui concerne la religion, on s’aperçoit qu’il n’est absolument pas nécessaire que la religion soit une autorité législative prédominante dans la conduite des affaires d’un pays.
Le modèle islamique
L’étude du Saint Coran révèle clairement que le sujet du gouvernement y est traité sans que la moindre distinction n’apparaisse entre les États musulmans et les autres.
Les instructions à propos de la façon de diriger un pays doivent concerner l’ensemble de l’humanité, même si c’est aux croyants que le Saint Coran s’adresse tout particulièrement. Le Saint Coran présente un modèle de gouvernement qui est applicable sans distinction aux hindous, sikhs, bouddhistes, chrétiens, juifs, musulmans, etc. Les instructions essentielles sont présentées dans les versets que nous avons cités précédemment, ainsi que dans les suivants :
« Mais non, par ton Seigneur, ils ne seront pas croyants à moins qu’ils te prennent comme juge de tous leurs différends ; et qu’ensuite ils ne trouvent pas eux-mêmes d’objections à tes décisions et qu’ils se soumettent complètement. »
Le Saint Coran | Chapitre 4, Verset 66
« Ô vous qui croyez ! Soyez fermes dans l’application de la justice et soyez les témoins pour Allah, quand bien même ce serait contre vous-mêmes ou contre vos parents ou vos proches parents. Que ce soit un riche ou un pauvre, Allah est plus attentif à eux que vous ne l’êtes. Ne suivez donc pas de vils désirs pour que vous puissiez agir équitablement. Et si vous dissimulez la vérité ou si vous l’éludez, souvenez-vous qu’Allah est bien informé de ce que vous faites. »
Le Saint Coran | Chapitre 4, Verset 136
Les Traditions du Saint Prophète de l’Islam (saw) sont également très claires à ce sujet. Celui qui assume une charge ou qui a une autorité sur un autre est responsable devant Dieu de la façon dont il se comporte et traite ses subalternes. Nous avons déjà abordé ce sujet, et il n’est donc pas nécessaire de l’approfondir davantage.
L’essence de cette discussion, c’est que l’Islam propose un gouvernement central complètement neutre, dans lequel les questions concernant la direction de l’État sont applicables à tous les membres de la société, et au sein duquel les différences religieuses n’ont pas le droit de jouer un rôle quelconque.
L’Islam insiste tout particulièrement sur le fait que les musulmans doivent obéir à la loi pour tout ce qui concerne les affaires de ce monde.
« Ô vous qui croyez ! obéissez à Allah et au Messager, et à ceux qui ont de l’autorité sur vous ; et si vous êtes en litige sur n’importe quelle question, référez-en à Allah et au Messager, si vous croyez en Allah et au Jour Dernier. C’est en fin de compte mieux et plus louable. »
Le Saint Coran | Chapitre 4, Verset 60
Quant aux relations entre Dieu et l’homme, il s’agit d’un domaine réservé à la religion, où l’État n’a aucun droit d’interférer. Il y a une liberté totale de pensée pour tout ce qui touche aux questions de croyances et de foi. C’est un droit fondamental de l’homme, non seulement que de croire en ce qu’il veut, mais encore que d’adorer Dieu ou des idoles, comme le lui demande sa religion ou ses croyances païennes.
Selon l’Islam, la religion, bien que libre à l’intérieur de sa propre sphère, n’a pas droit d’ingérence dans les affaires qu’elle partage avec l’État ; de même, celui-ci n’a pas le droit de s’interposer dans les domaines qui leur sont communs. Dire la vérité, s’abstenir du mensonge et des faux témoignages, etc., sont des actes punissables par la loi dans certains États, alors que la religion ne prescrit aucune punition en ce bas monde.
Aucune religion ne peut contraindre l’État à sévir chaque fois que de tels crimes sont commis. De la même façon, aucun État n’a le droit d’obliger une religion à se conformer aux lois du pays en modifiant ses canons ou ses préceptes moraux. S’il existe une telle entente dans ce domaine, aucune confusion ne pourra en résulter. D’ailleurs, les droits et les responsabilités sont définis de façon si claire dans l’Islam que la question d’un possible conflit ne se pose même pas. Nous avons présenté un certain nombre de versets qui traitent de ce sujet dans le chapitre sur la paix religieuse.
Malheureusement, de nombreux États séculiers semblent avoir tendance à étendre le domaine de la laïcité au-delà de ses frontières naturelles. Le même phénomène s’applique d’ailleurs aux États théocratiques ou à ceux qui sont largement influencés par la hiérarchie religieuse. Même si on ne les soutient pas, on peut dans une certaine mesure comprendre la vision déformée des gouvernements dirigés par les fanatiques religieux. Pourtant, on est surpris de constater qu’une telle attitude, manquant totalement de sagesse, se retrouve aussi dans les pays soi-disant modernes et avancés. Ce n’est d’ailleurs pas la seule chose qui soit difficile à comprendre dans le comportement politique de l’homme.
Tant que les décisions politiques seront dictées par l’intérêt national et destinées à en soutenir la philosophie, jamais le concept de moralité absolue ne pourra voir le jour. Trop souvent, les comportements politiques sont affectés par les préjugés nationalistes, et la vérité, la justice et l’honnêteté sont ignorées à chaque fois qu’elles sont en conflit avec ce qui est considéré comme l’intérêt national. Tant que cette attitude existera, et sera considérée comme de la loyauté envers l’État, le comportement politique de l’homme restera douteux, discutable et paradoxal.
Le Saint Coran mentionne les responsabilités du gouvernement et du peuple. Un certain nombre d’entre elles ont déjà été évoquées précédemment : le gouvernement se doit de répondre aux besoins essentiels de ses citoyens comme pourvoir à la nourriture, aux vêtements, et au logement. À cette liste il faut ajouter : le principe de l’aide internationale, la responsabilité devant le gouvernement et le peuple, leurs interactions, la justice absolue, et la sensibilité aux problèmes du peuple pour qu’il n’ait pas à élever la voix pour faire appliquer ses droits. Dans un gouvernement purement islamique, il est de la responsabilité du gouvernement de faire en sorte que le peuple n’ait pas besoin de se mettre en grève, de protester, ou même de se plaindre pour préserver ses droits. Nous allons maintenant présenter brièvement certaines autres responsabilités.
Le Saint Coran déclare
« Le Saint Coran déclare : Et si tu crains la perfidie de la part d’un peuple, rejette-lui son pacte avec équité ; assurément, Allah n’aime pas les perfides. »
Le Saint Coran | Chapitre 8, Verset 59
Ceux qui gouvernent ne doivent pas le faire d’une façon qui puisse engendrer le désordre, le chaos, la souffrance et la douleur, mais devraient travailler avec assiduité et efficacité, dans le but d’établir la paix dans tous les secteurs de la société.
« Ou, Qui répond à l’appel de celui qui est en détresse lorsqu’il L’invoque, et lui enlève le mal, et fait de vous les successeurs sur la terre? Y a-t-il un Dieu en dehors d’Allah ? Vous réfléchissez bien peu ! »
Le Saint Coran | Chapitre 27, Verset 63